Descriptif détaillé du module

01- Imprimer ensemble une matière activable

Paris sciences et lettres offre l’opportunité aux étudiants des différentes institutions représentées au sein de la COMUE de suivre des cours leur permettant de mettre en synergie leurs différentes compétences. Des échanges que les élèves sont nombreux à appeler de leurs vœux. Le cours que nous proposons pour la rentrée 2017 s’inscrit directement dans cette objectif : leur permettre de travailler ensemble, de valoriser et enrichir leurs connaissances spécifiques, découvrir l’étendue et la richesse des savoirs dans des champs de compétence différents et s’initier à des pratiques transversales. Un cours qui est pensé par des enseignants de trois Grandes Écoles pour la rentrée prochaine (pouvant s’ouvrir à d’autres écoles par la suite), convaincus du très grand l’intérêt que peut constituer un tel enseignement. Un cours qui pourra être particulièrement enrichissant par sa thématique innovante et attractive, les valeurs croisées qu’il sera amené à promouvoir, la grande diversité des formes de son enseignement, la valorisation des productions qui seront obtenues. La particularité de ce cours sera de faire se croiser non seulement des savoirs transdisciplinaires entre sciences de l’ingénieur, recherche en physicochimie et art et design, mais également associer une formation théorique couplée à la réalisation pratique d’un projet commun. Il ne sera pas seulement question d’apprendre un savoir – pratique ou théorique – pour une restitution lors d’une évaluation, mais d’avancer ensemble, et apprendre par des aller-retour constants entre acquisition de connaissances, recherches bibliographiques, travail en atelier, essais de laboratoires, pour devenir capable de produire un ensemble de résultats communs nouveaux dans le champ de la recherche, de la technologie, de l’art et du design. La structure de ce cours sera à la fois suffisamment claire et cadrée pour ne pas perdre les étudiants de tous bords et leur permettre de réaliser in fine des objectifs précis dont le cahier des charges est déjà établi. Mais il leur permettra également de les guider pour ouvrir le champ, imaginer de nouvelles propositions et les expérimenter pour faire bouger les objectifs premiers.
Nous avons pensé une thématique particulièrement propice à ce genre d’enseignement, à la confluence des arts, des sciences et des techniques développées dans nos trois institutions : celui de l’impression 3D de nouvelle génération, pour produire une matière ou des objets activables. Le projet pourrait ainsi mettre à contribution principalement les étudiants de l’École des Mines pour la conception puis la réalisation d’une imprimante 3D nouvelle génération, offrant de nouvelles potentialités en matière d’impression. Ces imprimantes seront calibrées pour permettre d’imprimer des matériaux en prenant en compte des exigences spécifiques pour structurer la matière de manière complexe, et parvenir de ce fait à l’obtention de propriétés innovantes des matériaux ou des objets obtenus. Des recherches seront menées d’autre part par les élèves de l’École des Arts Décoratifs et de l’ESPCI sur les nouvelles matières activables. La structuration interne de la matière réalisée au moyen de l’impression 3D peut lui permettre d’être sensible à son environnement et d’y répondre de manière spécifique. C’est le cas des matériaux nommés par Skylar Tibbits « matériaux 4D » qui se replient avec l’humidité, de la robotique molle, des métamatériaux mécaniques, etc… Les propriétés physico-chimiques et les réponses mécaniques de ces matériaux pourront être étudiées par les élèves de l’ESPCI, et les élèves de l’EnsAD pourront imaginer de nouveaux usages de ces matières structurées, dans différents contextes, inventer d’autres modalités de mouvements, d’autres structurations de la forme intérieure, expérimenter à toutes les échelles et à tous les niveaux, mener une réflexion sur le jeu entre la forme et le fond, et proposer des expositions possibles à la fois de la nouvelle imprimante et de ses productions. Une réflexion sur la valorisation des productions du cours sera envisagée en relation avec le service PSL-Valorisation. Des partenariat avec des entreprises, universités et lieux culturels pourront être montés afin d’enrichir d’apporter des compléments de financements, multiplier la diversité des regards d’experts et permettre d’exposer les résultats dans des lieux privilégiés, avec par exemple le service design et prospective industrielle du Centre Pompidou dirigé par Marie-Ange Brayer.


4D Printing: Multi-Material Shape Change – Self-Assembly Lab, Stratasys ltd. & Autodesk inc.

Pour que l’enseignement puisse fédérer à la fois les étudiants et tous les enseignants impliqués dans le processus, il sera nécessaire que chaque école puisse créditer des EC sur cet enseignement, en fonction du volume horaire et du niveau d’implication demandé par niveau d’étude.

02- Un enseignement par la pratique

Les enseignements seront avant tout dirigés vers la finalisation à la fois d’une technologie d’impression 3D nouvelle et performante, de matières aux propriétés d’activation intéressantes et de leurs applications pour le design – au sens le plus large que ce terme puisse recouvrir – et l’art contemporain. Ces objectifs ne pourront être atteints en une année, et le projet d’enseignement nécessiterait une réalisation courant sur trois années consécutives. La nécessité de créer un objet technologique nouveau et des applications jusque là inexistantes dans une climat d’échange sera certainement source de motivation pour les étudiants comme pour les enseignants. Il s’agira de mener véritablement un travail de recherche tous ensemble, en bénéficiant du contexte scientifique, technologique et artistique de haut niveau et d’une énergie porteuse des étudiants qui auront choisi d’y assister. Les enseignements comporteront une part pratique importante, dans chacune des spécialisations de chaque école. Des cours théoriques spécifiques seront apportés dans ce contexte en début d’année et de manière récursive lorsqu’il apparaîtra comme nécessaire de compléter ces apports de connaissance. Des cours d’ouverture, d’initiation ou de sensibilisation seront également proposés pour permettre aux étudiant d’une formation de comprendre mieux les recherches des étudiants d’une autre formation : cours sur la matière aux étudiants de l’EnsAD, sur la modélisation 3D aux élèves de l’ESPCI, etc… Des plages de travail expérimental en commun sont bien évidemment prévues pour que tous puissent échanger et imaginer ensemble leurs manières d’avancer.


Hybrid Basketry, 2013 – Amit Zoran

3- L’imprimante high tech

Comme indiqué précédemment, les recherches sur l’imprimante iront de pair avec celles sur la matière activable, afin d’optimiser la combinaison des deux et bénéficier d’un effet d’entrainement positif. Le temps de mise au point de l’imprimante étant incompressible, il sera nécessaire de pouvoir faire des essais sur les matériaux avant d’avoir fini de concevoir et de fabriquer la machine. De même, il est convient d’avoir établi dores et déjà un cahier des charges des possibilités que nous attendons de cette imprimante, avant d’avoir commencé à mettre au point les matériaux. Ce cahier des charges sera au départ très précis, de manière à pouvoir être ensuite implémenté à partir d’une base connue et contrôlée. Il s’agira de mettre au point une imprimante à deux buses capable d’imprimer des pâtes de type céramique, l’objet imprimé pouvant ensuite être cuit dans les conditions habituelles dans un four adapté.

Une fois cette première version conçue, montée et calibrée, il pourra être envisagé de compléter le cahier des charges de la manière suivante:

L’imprimante pourra travailler des matériaux sous forme de pâte : soit une pâte de type céramique à cuire après impression, soit une pâte de polymère photosensible à réticuler en cours de fabrication, soit une pâte à papier qui puisse ensuite gonfler à l’humidité, soit encore toute autre pâte que les étudiants seront amenés à imaginer pour des productions créatives (terre chargée de graines, etc…).
Elle comportera deux buses, l’impression à deux têtes permettant de combiner de manière adaptée deux matériaux différents. L’un des matériaux pourra être partie prenante de l’objet imprimé, pour le rendre activable, ou être déposé comme support. Dans ce dernier cas, il sera nécessaire de pouvoir ensuite le supprimer par calcination sous cuisson, ou par dissolution dans un solvant, etc. Il peut être possible également d’imprimer un matériaux creux pour permettre aux liquides de la traverser, ou tout autre chose encore.
Le support de l’imprimante pourra être mobile, ou transformable en cours d’impression, de manière à pouvoir imprimer des formes complexes. Il pourra par exemple être téléscopique et monter ou descendre pendant l’impression, s’incliner, se gonfler ou se dégonfler pour permettre d’accéder à de nouvelles formes imprimées ;

Il sera nécessaire de développer de concert le logiciel de guidage adapté et open source pour contrôler les différentes options possibles de cette nouvelle machine. C’est la combinaison de ce logiciel et des performances propres de la machine qui sera le mieux à même d’imaginer des matériaux particulièrement performants. Voir pour s’en convaincre les travaux de Neri Oxman au MIT.


Gravida, 2012 – Neri Oxman

4- La matière 4D

La matière utilisée puis mise au point par les étudiants tirera ses propriétés de sa structure spécifique, telle qu’elle aura pu être imprimée par l’imprimante conçue en parallèle. Comme le montrent de nombreux travaux sur l’impression 3D, notamment ceux du laboratoire de Neri Oxman au MIT, ou sur l’impression 4D tels que Skylar Tibbits les a développés au MIT, il existe une nouvelle manière de penser la matière, à partir de sa constitution moléculaire, mais aussi – et surtout – de sa structuration à différentes échelles de taille. Un travail qui peut mettre à profit la combinaison astucieuse du design computationnel, de la synthèse additive, de la science des matériaux et de la biologie. Les matériaux biomimétiques comme les bilames, développés par l’architecte et artiste Achim Menges, présentent la propriété de pouvoir être activés lorsque l’humidité de l’air change. Des ouvertures dans la paroi d’un édifice peuvent de ce fait laisser passer l’air lorsqu’il fait beau, et se fermer lorsqu’il pleut. Le principe est similaire à celui qui permet aux plantes de bouger : une partie de la matière gonfle avec l’humidité, l’autre partie qui lui est accolée ne gonfle pas, poussant le système à s’incurver.
Les matériaux 4D de skylar Tibbits tirent parti du même principe. L’impression 3D permet d’allier plusieurs matériaux lors de la fabrication d’un objet. En associant des matériaux qui restent rigides quelles que soient les conditions avec d’autres qui peuvent s’étirer jusqu’à atteindre 200 % de leur volume original, positionnés à des emplacements stratégiques, les chercheurs ont réussi à imprimer des objets possédant des joints pouvant s’étirer ou se plier comme des pailles. Les possibilités ouvertes par cette technologie sont infinies. D’autres systèmes sont activables lorsqu’ils ont été imprimés sur un support gonflable, comme le montrent les travaux menés par Fergal Coulter pour fabriquer des muscles artificiels.

Les travaux sur les matériaux pourraient débuter bien évidemment avant que l’imprimante 3D innovante ne soit montée. Les recherches pourront alors se faire à partir de principes conçus avec des imprimantes classiques. Pourront être expérimentés de ce fait les matériaux aux propriétés activables du même type que celles qui seront ensuite imprimées. Des cours expérimentaux pourront par exemple permettre aux étudiants de l’EnsAD de se familiariser avec les matériaux activables par gonflement, comme le sont les petits soft-bots : mini-robots mous activables avec de l’air sous pression. Ils pourront tester également les matières bilames, et l’activation par gonflement de la matière avec l’humidité. Ils seront amenés à mettre au point des configurations nouvelles de matières-machines : des métamatériaux imprimables en 3D. Les trous de formes spécifiques dans la matière permet à l’objet imprimé de faire preuve de réponses mécaniques « programmable ». D’autres processus pourront être expérimentés, comme les textiles imprimés sous tension, des modes de fabrication simples et conduisant à des effets mécaniques intéressants. Une recherche bibliographique permettra de classer les différents types de matériaux, leurs modalités de fabrication au moyen de l’impression 3D, leurs types d’activation et la forme de leurs mouvements. La mise au point de nouveau procédés pourra peut-être être imaginée à partir de la manipulation et après l’appropriation de ces différentes techniques.


Octobot, 2016 Harvard university